LUCAS (Lumière Cendrée en Antarctique par Spectroscopie) est le premier programme d’observations spectroscopiques au Dôme C. Son but est de détecter la chlorophylle et les autres marqueurs biologiques terrestres dans la lumière cendrée de la Lune, et leurs variations en fonction de la rotation terrestre, comme cela sera possible lors de futures observations de planètes extrasolaires telluriques.
La détection de planètes extrasolaires a certes donné une nouvelle impulsion à la recherche de la Vie dans l’Univers. Parmi les centaines de planètes découvertes aujourd’hui et dont le nombre ne cesse de croître, nous avons déjà détecté plusieurs Exo-Terres ou Super-Terres qui sont situées dans la zone habitable de leur étoile. On ne peut actuellement obtenir d’images de ces planètes, "noyées" dans la lumière de leur étoile environ un million de fois plus puissante, mais on peut présumer que les grands instruments du futur, et les nouvelles techniques d’imagerie, nous permettront d’obtenir de telles images dans une ou deux décennies, ainsi que les spectres qui nous donneront des informations sur la composition chimique de la planète. Nous devons dès maintenant préparer les observations destinées à rechercher des traces de vie. Assurément, la vie sur une planète extra-solaire aura probablement des formes que nous ne connaissons pas. Cependant, dans l’ignorance totale de ces formes de vie inconnues, nous étudions la détection de la vie sur la seule planète connue pour abriter la vie, c’est-à-dire notre Terre. Il faut pouvoir étudier la Terre comme s’il s’agissait d’une planète extra-solaire, c’est-à-dire vue depuis une très grande distance, et réduite à un point. La surface ne pourrait pas alors en être détaillée. Ce type d’étude aurait pu être faite par des satellites ayant quitté le système solaire, mais aucune étude spectroscopique n’a alors été faite. Une autre possibilité nous est offerte par l’étude de la Lumière Cendrée de la Lune, c’est-à-dire la partie sombre de la Lune entre les cornes du croissant lunaire, au début et à la fin de chaque cycle lunaire et qui correspond au clair de Terre sur la Lune. Le trajet de la lumière lors des observations de la Lumière Cendrée est le suivant : la lumière part du Soleil vers la Terre, où elle est reflétée vers la Lune. Elle revient vers la Terre où elle est observée depuis la partie non-éclairée de la Terre. La lumière aura ainsi traversé trois fois l’atmosphère terrestre. A cause de la rugosité de la Lune, chaque point de la Lumière Cendrée reflète la totalité de la surface terrestre éclairée de la Terre qui fait face à la Lune. Ainsi un spectre de la lumière cendrée de la Lune donne le spectre du disque moyenné de la Terre, comme pourront être vues les planètes extra-solaires. Dans ce spectre nous pouvons voir les molécules de l’atmosphère de la planète, comme l’oxygène, l’ozone, le méthane, l’eau, et le gaz carbonique, qui peuvent être des marqueurs biologiques. Nous pouvons voir aussi le spectre de la chlorophylle dû à la réflectivité de la végétation. En effet, on ne connaît pas actuellement de vie animale qui puisse être détectée à la distance d’une planète extra-solaire, mais la végétation couvre une part suffisamment importante de la surface terrestre pour pouvoir être détectée à distance. Outre une petite remontée dans le vert, ce qui implique que nous voyons l’herbe verte, le spectre de la chlorophylle présente surtout une très caractéristique remontée dans le proche infrarouge, aux alentours de 700 nm, le "Vegetation Red Edge" (VRE), qui est environ 5 fois plus importante que la remontée dans le vert.
On sait qu’à moyennes ou hautes latitudes, les observations de la Lumière Cendrée sont des observations de crépuscule, juste après le coucher du Soleil et juste avant le lever du Soleil.
Ces observations sont donc possibles juste avant ou juste après la Nouvelle Lune et chaque jour durant un court intervalle de temps. De plus, en première approximation, pour un télescope donné, seulement deux parties éclairées de la Terre peuvent faire face à la Lune : soit la partie située à l’ouest du télescope pour les observations du soir (début du cycle lunaire), soit la partie de la Terre située à l’est du télescope pour les observations du matin (derniers jours du cycle lunaire).
Cependant, il existe d’autres possibilités : si les observations sont faites depuis un endroit situé à une très haute latitude, les conditions d’observations de la Lumière Cendrée sont très différentes. Entre six et huit fois par an, autour des équinoxes, la Lumière Cendrée peut être observée plusieurs heures d’affilée, et même, à de très hautes latitudes, très près du pôle, l’observation de la Lumière Cendrée est possible pendant un jour nycthémère complet (24 h). Durant ces longues fenêtres d’observation et par suite de la rotation terrestre, différents « paysages » terrestres font successivement face à la Lune, sur laquelle ils se reflètent. Des études plus détaillées des marqueurs biologiques et de la chlorophylle pourront alors être faites en fonction de la partie de la Terre, océans ou forêts se reflétant dans la Lumière Cendrée.
L’Antarctique, avec la station Concordia, nous offre une telle possibilité.
La station Concordia est une base franco-italienne pour la recherche scientifique dont l’astrophysique, située au Dôme C en Antarctique.
Quelques données :
Le Dôme C est un excellent site pour l’astronomie, peut-être le meilleur au monde. C’est une des très rares bases hivernales en Antarctique.
L’instrumentation de LUCAS a été conçue et réalisée à l’Observatoire de Meudon et à l’Observatoire de Haute-Provence. Le télescope est un télescope Schmidt-Cassegrain de 20 cm équipé d’un spectrographe à fente de faible résolution. Le spectrographe, muni d’un réseau de 300 traits /mm, a un intervalle spectral de 500 à 900 nm et une résolution d’environ 100 à 700 nm. La caméra est un détecteur CCD KAF402ME. Les tests d’alignement et d’acquisition de données ont été menés à l’observatoire de Haute-Provence et l’ensemble de l’instrumentation : télescope, spectrographe et détecteur, a été antarctisé. La température interne de l’instrument a été régulée grâce à un ensemble de capteurs PT100. L’expérience acquise après le premier hivernage (2008), lequel nous a montré que les conditions physiques étaient encore plus dures pour l’appareillage que ce que nous avions supposé, nous a été très utile pour détecter, analyser, et corriger les problèmes instrumentaux dus aux conditions physiques extrêmes. Une très importante amélioration instrumentale pour la saison d’hiver 2009 (voir figure), et l’habileté des observateurs ont porté leurs fruits et les premiers spectres ont été obtenus en juillet 2009. Les observations ont été renouvelées à chacune des lunaisons jusqu’à ce que le Soleil rende les observations impossibles. Les plages d’observations ont duré jusqu’à huit heures d’affilée, ce qui serait évidemment impossible sous des latitudes tempérées.