C’est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès de Roger Cayrel. Né en 1924, ancien élève de l’école Normale Supérieure, après avoir été recruté à l’IAP il a été Astronome à l’Observatoire de Paris de 1962 à 1995, Directeur adjoint de l’INAG (l’ancêtre de l’INSU) de 1968 à 1971, et Directeur de la "Société du Télescope Canada-France-Hawaii" de 1974 à 1980. Il a dirigé sur place la construction du CFHT.
Roger Cayrel était membre correspondant de l’Académie des Sciences et membre titulaire honoraire du Bureau des longitudes. Il était un des derniers représentant de cette "équipe Chalonge" qui a introduit l’astrophysique moderne en France. Il est reconnu comme un des pionniers de l’étude précise des atmosphères stellaires.
Dans la grande controverse au sujet de l’abondance en hélium, il put montrer en 1954 en se basant sur des modèles d’atmosphère très simplifiés que dans l’étoile de type B, dzeta Per, contrairement aux résultats de Neven & de Jager obtenus sur des étoiles analogues, cette abondance était élevée. Plus tard, en étudiant la position des vieilles sous-naines dans le diagramme HR, il estima l’abondance de He dans ces vieilles étoiles, et nota que cette abondance a peu changé au cours de l’évolution galactique.
Il fut l’un des premiers en 1957 à utiliser un ordinateur (un IBM 650) pour calculer les modèles d’atmosphère, les profils de raies, et les abondances.
Dans ses calculs des raies stellaires, Roger Cayrel fut l’un des premiers à prendre en compte la structure hyperfine des niveaux atomiques. Il a écrit un des premiers codes liant l’abondance d’un élément à la largeur équivalente de la raie et a pu montrer que l’abondance du fer était la même dans le Soleil et dans la géante jeune epsilon Vir.
Roger Cayrel a apporté des contributions importantes en astrophysique théorique, préconisant des calculs rigoureux tenant compte de la formation des raies d’absorption hors équilibre thermodynamique local (hors LTE). C’est le cas notamment dans les étoiles pauvres en métaux où le champ radiatif UV est considérablement moins absorbé par les raies.
Dès 1963 il a noté que l’accroissement de la température vers les couches stellaires externes s’explique (sans recours à une supposée dissipation d’énergie mécanique) par le fait que, aux basses densités (chromosphère) les photo-ionisations et les recombinaisons dominent, ce qui relève la température.
Il a noté que dans l’amas jeune des Hyades, l’abondance du lithium décroît avec la masse de l’étoile plus rapidement que ce qui était prévu à cette époque, par la théorie.
Au début du siècle, Roger Cayrel a développé d’actives collaborations pour calculer le profil des raies d’absorption en tenant compte de la convection dans les atmosphères stellaires (modèles 3D). En 2007, il a ainsi déterminé le profil du doublet de lithium dans des étoiles pauvres en métaux, conduisant à la conclusion qu’il n’y a pas d’isotope 6Li dans ces très vieilles étoiles. Ce résultat est maintenant universellement accepté.
Un des sujets favoris de Roger Cayrel était l’évolution chimique de la Galaxie et l’étude des étoiles très vieilles. On n’a pas encore trouvé d’étoiles sans métaux, et les étoiles très déficientes sont rares. Cayrel a expliqué ce fait en notant la rapidité du mélange avec les éléments lourds produits par les étoiles massives.
En 1999 Roger Cayrel a rassemblé une équipe internationale (7 nationalités) pour utiliser le tout nouveau spectrographe UVES au foyer Nasmyth du télescope VLT de l’ESO afin de déterminer la distribution des abondances des éléments au début de la Galaxie. Ce Large Programme est reconnu par l’ESO comme un des plus productifs.
Roger Cayrel n’était pas seulement un théoricien, il s’intéressait aussi à l’instrumentation. Il a vivement soutenu la création du millimétrique en France. Il a défendu la construction d’un télescope (CFHT) de 3,6m au sommet du Mauna Kea en collaboration avec le Canada et l’Université d’Hawaï : le site est quasi unique pour la qualité des images et la transparence de l’atmosphère en infra-rouge et en ultra-violet. Roger Cayrel réussit à rassembler les éléments d’un spectrographe coudé étendu au proche infra-rouge qui a produit de très nombreux résultats.
Roger a inspiré toute une génération d’astronomes, il est un exemple.
Merci Roger :
pour ton intérêt dans notre travail ;
pour tes idées et ta motivation ;
pour tes encouragements, ton aide, ton exemple d’intégrité scientifique et ton amitié.
Nous te devons beaucoup.