Huit astronomes de l’Observatoire de Paris, du Laboratoire Astrophysique de Marseille, de l’Institut d’Astrophysique de Paris et du CNRS ont obtenu un aperçu exceptionnel de galaxies lointaines, vues à une époque où l’Univers n’avait que la moitié de son âge actuel de 13,7 milliards d’années. En combinant les capacités uniques du télescope spatial Hubble de la NASA et de l’ESA, avec celles du spectrographe FLAMES/GIRAFFE au Very Large Telescope (VLT) de l’ESO au Chili , ils ont pu modéliser ces objets avec une précision quasi-identique à celle déjà effective pour des galaxies beaucoup plus proches. L’enjeu est de mieux comprendre les mécanismes de formation d’étoiles dans ces objets. En regardant loin dans le passé, à une époque où le Soleil et la Terre n’existaient pas encore, les scientifiques espèrent résoudre l’entêtante énigme de l’origine des galaxies. Les premiers résultats suggèrent que les fusions de galaxies pourraient avoir joué un rôle décisif.
Pendant des décennies, les galaxies distantes qui ont émis leur lumière il y a 6 milliards d’années, la moitié environ de l’âge actuel du cosmos, ne sont restées rien de plus que de minuscules petites taches sur le ciel. Après le lancement du télescope spatial Hubble au début des années 1990, les astronomes ont d’abord obtenu des images très précises de ces objets éloignés, ce qui leur a permis de commencer à analyser leur structure avec beaucoup plus de détails. Dans chacune de ces galaxies, le spectrographe FLAMES/GIRAFFE du VLT [1] permet maintenant d’obtenir simultanément plusieurs enregistrement de la composition en longueur d’ondes (spectres) du rayonnement issu de minuscules régions distinctes. Ceci permet en retour de bien comprendre également le mouvement du gaz (et des étoiles ?) [2], fournissant ainsi une « troisième dimension » d’observation bien utile pour étudier ces objets. Cette vision, unique, des galaxies distantes permet de construire des modèles presque aussi précis que ceux que l’on applique pour des objets beaucoup plus proches, et donc observés en détails.
L’équipe a entrepris la tache herculéenne de reconstituer l’histoire d’une centaine de galaxies lointaines observées à la fois par le télescope spatial Hubble et le spectrographe GIRAFFE au VLT. Des premiers résultats ont été obtenus pour trois d’entre elles et ils délivrent déjà des informations inédites sur la manière dont ces objets se sont formés puis ont évolués.
Dans la première de ces galaxies, GIRAFFE a détecté une région remplie de gaz chaud ionisé, c’est-à-dire composé d’atomes auxquels un ou deux électrons ont été arrachés, ce qui est habituellement dû à la présence d’étoiles jeunes et chaudes dans le voisinage. En revanche, contre toute attente, après avoir observé la même région du ciel pendant plus de onze jours, le télescope Hubble n’a pu détecter aucune étoile dans cette région ! La comparaison avec des simulations numériques suggère que l’explication pourrait venir d’une collision préalable entre deux galaxies spirales riches en gaz. Les chocs produits sont capables de ioniser le gaz, le rendant trop chaud pour former des étoiles. La galaxie observée aujourd’hui serait le résultat de cette rencontre.
Dans la deuxième galaxie, les astronomes ont détecté une région centrale de couleur bleue enfouie dans un disque beaucoup plus rouge, presque complètement cachée par la poussière absorbante. Des modèles indiquent que le gaz et les étoiles de cette région bleue tombent rapidement en spirale vers le centre. Ce serait le premier exemple connu d’un disque de galaxie qui se reconstruit à la suite d’une fusion « majeure » entre deux galaxies de masse similaire [3].
Enfin, dans la troisième galaxie, les astronomes ont identifié une structure centrale très inhabituelle, constituée d’une barre extrêmement bleue composée d’étoiles particulièrement jeunes et massives, ce qui est très rare parmi les galaxies proches. En comparant à nouveau avec des simulations, les astronomes ont trouvé que les propriétés de cet objet étaient bien reproduites par une collision entre deux galaxies de masses distinctes.
La combinaison unique du télescope spatial Hubble et de GIRAFFE au VLT rend désormais possible de décrire finement les galaxies distantes et de parvenir ainsi à un consensus sur le rôle crucial que les collisions ont pu jouer dans la formation de ces objets. C’est parce qu’ils ont accès aux mouvements du gaz -la troisième dimension fournie par le spectrographe GIRAFFE- que les astronomes sont capables de retrouver la masse et les orbites des objets préexistants : leurs progéniteurs. Les astronomes sont actuellement en train d’étendre leur analyse à l’ensemble de l’échantillon observé. L’étape suivante sera de comparer les résultats complets avec les caractéristiques mesurées des galaxies proches et de construire ainsi une vision véritablement cohérente de l’évolution des galaxies au cours des 6 derniers milliards d’années, presque la moitié de l’age de l’Univers.
Ces résultats font l’objet de publications dans la revue Astronomy & Astrophysics :
L’équipe est composée de F. Hammer, H. Flores, M. Puech, Y. Yang, M. Rodrigues, et B. Neichel (Observatoire de Paris, France, CNRS-INSU), L. Anathassoula (LAM, France), et S. Peirani (Institut d’Astrophysique de Paris, France).
Les observations ont été obtenues dans le cadre du « large programme » IMAGES de l’ESO.
Le spectrographe FLAMES/GIRAFFE a été construit par l’Observatoire de Paris . GEPI avec le soutien du CNRS et de l’INSU.
François Hammer, Mathieu Puech
Sébastien Peirani