GEPI

De la conception instrumentale
à l’exploitation des observables
Accueil > Pôle Scientifique > Physique stellaire et galactique > Actualités > L’asymétrie des raies du lithium (…)

L’asymétrie des raies du lithium jette un doute sur les déterminations antérieures du rapport isotopique 6Li/7Li

» mardi 24 mars 2009

Une équipe d’astronomes, conduite par un chercheur de l’Observatoire de Paris, remet en question les travaux antérieurs sur les mesures du rapport 6Li/7Li, ces derniers n’ayant pas pris correctement en compte l’asymétrie de ces raies. L’asymétrie des raies stellaires est produite par les mouvements convectifs dans les atmosphères, importants dans les étoiles pauvres en métaux du turn-off, dans lesquelles 6Li est observé. Les analyses (1D) ont jusqu’à présent ignoré ces asymétries, et ont surestimé l’absorption du 6Li. Le problème vient du fait que les raies du 6Li sont localiées dans l’aile asymétrique, beaucoup plus forte, du 7Li.

Encore récemment, la valeur du rapport isotopique 6Li/7Li n’avait été déterminée que pour juste quelques étoiles, et avec un degré de confiance médiocre (de l’ordre de 2 sigma).

Une augmentation spectaculaire du nombre de ces déterminations s’est produite l’année dernière, avec l’article d’Asplund, Lambert, Nissen et al. (2006) donnant les valeurs du rapport 6Li/7Li pour 24 étoiles déficientes du halo galactique, la plupart placées au coude (turn-off, TO en abrégé) du diagramme HR. Le résultat fût une complète surprise, très loin de ce à quoi l’on s’attendait. Comme 6Li, à l’encontre de 7Li, n’est formé qu’en quantité inobservable dans la nucléosynthèse primordiale,on s’attendait à voir une montée du 6Li avec la métallicité, correspondant à une production par spallation par rayons cosmiques, comme pour les autres éléments légers Be, B, et même 7Li, une fois que sa production par rayons cosmiques a rattrapé son abondance primordiale.

Figure 1
La figure montre la valeur de l’ asymétrie mesurée dans l’étoile du halo HD 74000 pour la moyenne de 5 raies de Fe I, ayant une stratification et une intensité similaire aux composantes du doublet de la raie de résonance du 7Li à 670.8 nm.
Les cercles rouges ouverts représentent le profil asymétrique. Les cercles verts représentent la symétrique de l’aile bleue par rapport à la verticale au centre de la raie. La différence entre le profil vert et le rouge, mesure l’asymétrie de la raie.
Cette différence est reportée, décalée verticalement à l’ordonnée 1.04. L’effet d’une raie correspondant à un "blend" du 6Li de 4.4 pour cent du 7Li (la valeur du plateau d’Asplund et al. ) est montrée décalée à l’ordonnée 1.02. Les deux signaux sont étonnament ressemblants.
De manière à montrer cette dégénescence de façon plus palpable, la courbe noire montre la somme du profil symétrique et du blend du 6Li. Elle est sur tout son parcourt à +/- un sigma du profil asymétrique sans 6Li, donc confondue observationellement avec la précédente. Les points rouges matérialisent le bissecteur du profil asymétrique.

Au lieu de cela, l’abondance de 6Li fût trouvée indépendante de la métallicité, formant un plateau parallèle au plateau du 7Li, de [Fe/H]= -2.5 à -1.25. Si on ne retient que les valeurs ayant un degré de confiance meilleur que 2 sigma, la valeur moyenne de 6Li/7Li est de 0.044 avec une déviation standard de 0.012. Plusieurs équipes ont tenté d’expliquer ce résultat inattendu. En particulier Rollinde, Vangioni, et Olive (2006) ont considéré une production du 6Li par fusion prégalactique alpha+alpha, dans des collisions de noyaux accélérés et de noyaux interstellaires, au voisinage de supernovae primordiales. Hubert Reeves (2007) et Jedamzik (2004, 2006) ont exploré d’autres scénarios, ces derniers impliquant des particules supersymétriques. Cependant Prantzos (2006) a souligné d’importantes difficultés énergétiques, spécialement compte tenu du désaccord entre l’abondance cosmologique du 7Li déduite de WMAP, et celle observée dans les sous-naines du plateau des Spite, impliquant que plus de 7Li et de 6Li a été formé que ce que l’on observe dans les étoiles.

Les auteurs ont alors décidé d’employer une toute autre voie, consistant à questionner l’existence du plateau du 6Li. La motivation est que les raies du 6Li se forment sur l’aile de la composante
correspondante, beaucoup plus forte, du 7Li. Or une asymétrie des raies est engendrée par les mouvements convectifs dans les atmosphères stellaires, en particulier quand ceux-ci atteignent
des couches élevées de la photosphère, le cas pour les étoiles pauvres en métaux dans lesquellesle 6Li a été observé. Les analyses fondées sur des modèles 1D ne prennent pas en compte ces asymétries,
et utilisent donc un faux pseudo-continu dans la mesure de l’absorption du 6Li dans l’ailed’une raie du 7Li.

Le degré d’asymétrie des raies dans l’étoile du TO, déficiente en métaux HD74000 a été déterminé sur une pose cumulée de 20 heures, prise avec le spectrographe HARPS, monté sur le télescope de 3.6m de l’ESO. Le choix de ce spectrographe était motivé par son excellente performance dans la
mesure des longueurs d’onde. Un rapport signal/bruit de 600 par pixel a été atteint, nécessaire pour mesurer le très faible signal du 6Li. Comme l’asymétrie de la raie de résonance du 7Li est contaminée par la présence potentielle du "blend" du 6Li, il est évidemment nécessaire d’étudier l’asymétrie des raies sur d’autres raies dépouvues de blend. Cinq raies propres du Fe I ont donc été choisies,
présentant une stratification similaire à celle de la raie du Li (niveau inférieur avec même distance en énergie du niveau d’ionisation ), et des intensités proches des composantes du doublet du 7Li.

La moyenne de leur profils, ramenés à une profondeur centrale commune, et convoluée par unegaussienne prenant en compte la différence d’élargissement thermique entre le fer et le lithium est visible sur la figure 1 (cercles rouges ). L’asymétrie est matérialisée par la différence entre la vraie
aile rouge et l’aile symétrique de l’aile bleue (cercles verts). Le signal correspondant à cette asymétrie est montrée, pour clarifier, à l’ordonnée 1.04. Pour comparaison, le signal correspondant à un blend de 4.4 pour cent de l’abondance du 7Li (celle du plateau d’Asplund et al.)
est montré, pour plus de clarté, à l’ordonnée 1.02. Clairement, il existe un haut niveau de dégénérescence entre ces deux signaux. la principale différence est le fait que l’asymétrie est maximum à 6.1 km/s du centre de la raie, alors que le blend du 6Li est localisé à 7.14 km/s.

A ce point on peut déjà conclure que l’asymétrie recherchée existe, et qu’elle a une amplitude suffisante pour mimer un blend du 6Li au niveau trouvé par Asplund et al. (2006).

Puis l’équipe a voulu corroborer l’approche observationelle par un contrôle théorique. Pour cela, le code 3D-NLTE développé par M. Steffen et R. Cayrel pour le calcul du Li-blend, a été appliqué à un modèle calculé par M. Steffen avec le code CO5BOLD (Freytag et al. 2002), correspondant
aux paramètres température effective, gravité et métallicité de HD 74000. Ce calcul a donné une asymétrie extrêmement proche en forme et amplitude de celle mesurée.Un grand plus apporté par ce calcul théorique est un décalage vers le rouge des raies du Li,par rapport aux raies plus fortes utilisées pour mesurer les vitesses radiales. Ce décalage est observé depuis plus de 20 ans, sans avoir été jamais justifié.

La conclusion est que la prise en compte de l’asymétrie des raies est incoutournable dans la détermination de l’abondance du 6Li, et doit maintenant être étudiée en détail, en particulier sa dépendance en fonction de la température effective, de la gravité et de la métallicité.

Référence

Line shift, line asymmetry and the 6Li/7Li isotopic ratio determination,

  • Roger Cayrel (GEPI, Obs-Paris),
  • Matthias Steffen (AIP, Germany),
  • Hum Chand (IAP, Paris),
  • Piercarlo Bonifacio (GEPI, CIFIST, INAF-OAT),
  • Monique Spite, François Spite (GEPI, Obs-Paris),
  • Patrick Petitjean (IAP, Paris),
  • Hans-Gunter Ludwig (GEPI, CIFIST),
  • Elisabetta Caffau (GEPI, Obs-Paris)

Astronomy & Astrophysics, Letter 2007, in press

Contact